Repris du site La voie du jaguar

Dans tous les recoins du monde, ceux d’en haut perpètrent un génocide silencieux des peuples originaires et noirs, des paysans et des pauvres de la ville et de la campagne.

L’armée turque envahit le nord de la Syrie, rasant les villages et villes kurdes. Le gouvernement israélien ne vaccine pas la population palestinienne. À Manaus, en Amazonie brésilienne, des milliers de personnes meurent dans des hôpitaux saturés. En seulement trois semaines de 2021 se sont déjà produits en Colombie six massacres, qui ont fait plus de quinze morts.

Les féminicides se sont multipliés pendant la pandémie, comme une part indissociable du génocide contre celles et ceux d’en bas.

Au Chiapas, les bandes paramilitaires attaquent à coups de feu les communautés de Moisés Gandhi. Le scénario est toujours le même : des paramilitaires, comme l’Orcao (Organisation régionale des caféiculteurs d’Ocosingo), qui sont assistés par l’armée, attaquent les bases de soutien zapatistes ; le gouvernement fédéral et celui de l’État gardent le silence, autrement dit, consentent. Les médias et les partis politiques se taisent, autrement dit consentent.

Dans les périphéries urbaines et les zones rurales reculées d’Amérique latine, non seulement on ne parle pas de vaccins, mais on ne dispose pas d’infrastructures hospitalières, de médecins ou d’infirmières en nombre suffisant.

Une caractéristique de la tempête contre ceux d’en bas est que personne ne s’en soucie. Personne ne réagit, personne ne s’émeut. L’indifférence est la politique des États et d’une bonne partie de « l’opinion publique ». Ayotzinapa se produit tous les jours, et pas seulement au Mexique.

C’est une politique établie en haut et acceptée avec enthousiasme par le système politique. C’est un encerclement militaire et médiatique contre les peuples, pour les immobiliser, tandis que le capital (libéré de tout contrôle) approfondit son vaste et intense processus de concentration et de centralisation dans des mains de moins en moins nombreuses.

La tournée zapatiste en terres européennes est l’occasion de briser l’encerclement, de nous rassembler à nouveau dans des espaces communs, de se faire entendre et de se tisser en tant que peuples en résistance. La proposition zapatiste annoncée en octobre et renouvelée le 1er janvier dans la déclaration « Pour la vie » est un effort énorme des communautés pour briser l’encerclement de la mort.

La réponse de l’Europe est venue de plus d’un millier de collectifs dans plus de vingt pays qui ont manifesté leur volonté de se joindre et d’organiser une tournée qui mènera plus de cent zapatistes, en majorité des femmes, dans un grand nombre d’endroits du continent.

Il ne sera pas facile d’organiser une telle tournée à un moment où la pandémie ne connaît pas de limites, ce qui donne l’occasion aux gouvernements et à la police de restreindre l’action collective. En Europe, les droits de réunion et de manifestation ont été limités, ce qui actuellement fait planer bien des doutes sur la manière dont le 8 mars sera célébré.

Il sera également très difficile pour des milliers de militants de s’entendre, car ils sont issus d’histoires, d’idéologies et de façons de faire différentes. Ces diverses cultures politiques auront du mal à surmonter l’égocentrisme individuel et collectif, l’inévitable recherche de projecteurs médiatiques pour certains, peu nombreux toujours, mais ayant un grand pouvoir de désintégration.

Aux difficultés inhérentes à la situation, il faut ajouter celles qui proviennent de tant d’années de fragmentation et, surtout, de la continuité d’une culture politique centrée sur les États, sur les caudillos masculins et sur les discours qui ne s’accompagnent pas de pratiques cohérentes.

L’expédition zapatiste est l’occasion de s’attaquer à deux autres tâches nécessaires, en plus de la rupture de l’encerclement mentionnée plus haut.

La première est qu’elle permettra de relier et de coordonner des collectifs qui d’habitude sont éloignés ou même qui ne se connaissent pas. Il ne s’agit pas de créer de nouveaux appareils ou de nouvelles structures, mais d’ouvrir un large éventail de liens horizontaux et égalitaires, une chose beaucoup plus difficile que d’établir une « coordination » qui souvent reproduit les vices des appareils.

La seconde est qu’une meilleure compréhension des façons de faire des zapatistes peut permettre à bien des personnes et des collectifs de pénétrer dans des cultures politiques que seuls certains groupes féministes et groupes de jeunes ont mises en pratique jusqu’à présent.

L’une des constatations les plus déprimantes dans les milieux militants est que, décennie après décennie, les mêmes vices que nous pensions naïvement avoir dépassés ont tendance à se répéter. Il n’est possible de les surmonter qu’en agissant, en faisant des erreurs et en recommençant à agir jusqu’à ce que nous trouvions des méthodes de travail qui ne fassent pas de tort, qui n’excluent pas et n’humilient pas.

La tournée zapatiste sera une énorme source d’apprentissage pour les collectifs anticapitalistes les plus divers. Premièrement, constater que c’est possible, que ceux d’en haut ne sont pas aussi puissants qu’ils le paraissent. Deuxièmement, que nous pouvons réunir de plus en plus de gens sans reproduire le système, en cherchant des confluences parmi ceux qui subissent des oppressions similaires. Un défi et un espoir à la fois.

Si tout va bien dans le sud du continent, nous répéterons l’expédition. Ces jours-ci, nous faisons les premiers pas, timides pour l’instant, pour déployer les énergies qui nous permettront de continuer à rompre les encerclements.

Raúl Zibechi

Traduit de l’espagnol (Mexique)
par Joani Hocquenghem

Texte d’origine : La Jornada
29 janvier 2021.